1 Extrait : Lettre de Vincent Van Gogh à son frère Théo






« Je t’écris un peu au hasard ce qui me vient dans ma plume, j’en serais bien content si en quelque sorte tu pourrais voir en moi autre chose qu’une espèce de fainéant.
Puisqu’il y a fainéant et fainéant qui forment contraste.
Il y a celui qui est fainéant par paresse et , par la Tu peux si tu juges bon de me prendre pour un tel.
Puis il y a l’autre fainéant, le , qui est rongé par un grand désir d’action, qui ne fait rien parce qu’il est dans l’impossibilité de rien faire puisqu’il est comme en prison dans quelque chose, parce qu’il n’a pas ce qu’il lui faudrait pour être productif, parce que le réduit à ce point.

Un tel ne sait pas toujours lui-même ce qu’il pourrait faire mais il sent , pourtant je suis !
Je me sens une raison d’être ! Je sais que je pourrais être un tout autre homme !
A quoi donc pourrais-je , à quoi pourrais-je servir !
Il y a quelque chose au dedans de moi, qu'est-ce que c’est donc !
Cela, est un tout autre fainéant, tu peux si tu juges bon de me prendre pour un tel.

Un oiseau en cage au printemps sait fortement bien qu’il y a quelque chose à quoi il serait bon, il sent fortement bien qu’il y a quelque chose à faire mais il ne peut le faire, qu'est-ce que c’est, il ne se le rappelle pas bien, puis il a des idées vagues et se dit “les autres font leurs nids et font leurs petits et élèvent la couvée”, puis il se cogne le crâne de la cage. Et puis la cage reste là et l’oiseau est fou de douleur.

“Voilà un fainéant” dit un autre oiseau qui passe – celui là c’est une espèce de rentier.

Pourtant le prisonnier vit et ne meurt pas, de ce qui se passe en dedans, il se porte bien, il est plus ou moins gai au rayon du soleil.
Mais vient la saison . Accès de mélancolie – mais, disent les enfants qui le soignent, dans sa cage il a pourtant tout ce qu’il lui faut – mais lui de regarder au dehors le ciel gonflé chargé d’orage, et contre la fatalité en dedans de soi.
Je suis en cage, je suis en cage et il ne me manque donc rien, !
J’ai tout ce qu’il me faut moi !
Ah de grâce, la liberté, être un oiseau comme les autres oiseaux! »


Vincent Van Gogh
Fusain et pastel : Visage derrière les barreaux. Odilon Redon