A Soi-Même. Odilon Redon





A Soi-Même (extraits du "Journal" autobiographique 1867 - 1915)

Combien d'autres encore pleins de dons naturels, vont se perdre et se fondre à la suite des hommes ! Nous naissons tous avec un autre homme en nous, en puissance, que la volonté maintient, cultive et sauve – ou ne sauve pas. On ne sait pas, on ne saura jamais, ce qui fait que celui-ci devient un artiste, cet autre un financier, ou un fonctionnaire, bien que partis ensemble, auréolés des mêmes virtualités. C'est là un point insondable, irréductible. La n'y sont point un obstacle : on a son âme partout ; on dispose d'une matière partout. C'est affaire de conduite intérieure, hors des faiblesses de la vanité ou des égarements de l'orgueil. Il y a des artistes de génie dans la misère, il y en a d'autres dans l'opulence. La fin d'une destinée est en soi-même ; elle suit des chemins cachés que le monde ne sait pas ; ils sont remplis de fleurs ou d'épines.

Qu'est-ce qui me rendit, au début, la production difficile et la fit ? Serait-ce une optique ne concordant pas avec mes dons ? Une sorte de conflit entre le coeur et la tête ? - je ne sais.Toujours est-il qu'à j'ai toujours tendu vers la perfection, et, le croirait-on, la perfection dans la forme. Mais laissez-moi vous dire maintenant que nulle forme plastique, j'entends perçue objectivement, pour elle-même, sous les lois de l'ombre et de la lumière, par les moyens conventionnels du « modelé », ne saurait être trouvée dans mes ouvrages. Tout au plus ai-je tenté souvent, au début, et parce qu'il faut autant que possible tout savoir, de reproduire ainsi des objets visibles selon ce mode d'art de l'optique ancienne. Je ne le fis qu'à .

Mais je vous le dis aujourd'hui, en toute maturité consciente, et j'y insiste, tout mon art est limité aux seules ressources du et il doit aussi beaucoup aux effets de la ligne abstraite, cet agent de source profonde, agissant directement sur l'esprit. L'art suggestif ne peut rien fournir sans recourir uniquement aux jeux mystérieux des ombres et du rythme des lignes mentalement conçues. Ah ! Eurent-ils jamais plus haut résultat que dans l'oeuvre du Vinci ! Il leur doit son mystère et la fertilité des fascinations qu'il exerce sur notre esprit.
Ils sont les racines des mots de sa langue. Et c'est aussi par la perfection, l'excellence, la raison, la soumission docile aux lois du naturel que cet admirable et souverain génie tout l'art des formes ; il le domine jusque dans leur essence !

« La nature est pleine d'infinies raisons qui ne furent jamais en expérience »

écrivait-il.
Elle était pour lui, comme assurément pour tous les maîtres, la nécessité évidente et l'axiome.

Quel est le peintre qui penserait autrement ?
C'est aussi qui nous prescrit d'obéir aux dons qu'elle nous a donnés. Les miens m'ont induit au rêve ; j'ai subi les tourments de l'imagination et les surprises qu'elle me donnait sous le crayon ; mais je les ai conduites et menées, ces surprises, selon des lois d'organisme d'art que je sais, que je sens, à seule fin d'obtenir chez le spectateur, par un attrait subtil, toute l'évocation, tout l'attirant de l'incertain, sur les confins de la pensée.
Je n'ai rien dit, non plus, qui ne fût grandement pressenti par Albert Dürer dans son estampe : « ».
Oefeningen - Exercices de français A Soi-Même Odilon Redon (extraits du "Journal" autobiographique 1867 - 1915)
Peinture : Béatrice. Odilon Redon