A Soi-Même. Odilon Redon





A Soi-Même (extraits du "Journal" autobiographique 1867 - 1915)



« Que de désillusions en approchant très près d'un homme de génie ! Quelle illusion éternelle et intarissable le génie garde à l'égard !
Par la vision des murs de nos cathédrales, comme par celle des marbres de la Grèce ou de l'Egypte, partout où l'homme civilisé ou sauvage a vécu, nous revivons par l'art sa vie morale la plus haute ; nous la revivons spontanément, radieusement et c'est une résurrection prodigieuse.
En somme, il faut souffrir, et ; il est un baume. Et cet oubli que nous trouvons dans la recherche heureuse fait notre richesse, notre noblesse, notre fierté.

Ma vie dérogea peu de certaines , les déplacements rares que je fis ne m'ont pas permis d'interroger davantage les lois de mon expansion. Nos jours ont alterné entre la ville et la campagne ; celle-ci me reposant toujours, me donnant, avec les forces physiques, des illusions nouvelles ; celle-là, et surtout Paris, m'assurant le sur lequel tout artiste doit s'exercer sans cesse ; elle me donna surtout la conscience dans la direction de l'effort aux heures d'étude et de jeunesse ; autant il est bon de s'abandonner quand on crée, autant encore il est bien de savoir ce qu'il est bien d'aimer et où l'esprit s'envole.
Rembrandt me donna des surprises d'art . Il est le grand facteur humain de l'infini de nos extases. Il a donné la vie morale à l'ombre. Il a créé comme Phidias la ligne. Et tout le mystère que comporte la plastique n'est désormais possible que par lui, pour le nouveau cycle d'art qu'il a ouvert hors de .

Je n'ai vraiment aimé la peinture et mon art que lorsque - le pli étant fait, - après des efforts en plusieurs sens, j'ai senti, je ne dis pas la virtuosité, mais tout ce que me donnaient d'imprévu et de surprises mes : comme si leur résultat eût dépassé . J'ai lu quelque part que le pouvoir de mettre ainsi dans un ouvrage plus de signification qu'on désirait soi-même et de surpasser en quelque sorte son propre désir par l'imprévu du résultat, n'est donné qu'aux êtres de sincérité et de loyauté entières, à ceux qui portent dans leur âme autre chose que leur art-même. Je le croirais aussi : il leur faut le souci de la vérité, peut-être le don de pitié, ou d'en souffrir.

L'art serait-il un étai, un soutien de la vie expansive, et supposerait-il que, bornés et faibles, nous avons besoin ! Communion sublime avec toute l'âme du passé. Patrimoine grandiose de l'humanité défunte. »

Oefeningen - Exercices de français A Soi-Même Odilon Redon (extraits du "Journal" autobiographique 1867 - 1915)
Peinture : O Redon - Village breton