Paul Verlaine, Quinze jours en Hollande. 31

 

Il faut bien dire qu'il est venu là un peu dans l'espoir de voir un excentrique, disons le mot, un grotesque. Une réaction dans le bon sens se prépare, qui éclate en vifs applaudissements, quand dans la seconde partie, après avoir finement ... et malicieusement de parti pris, parbleu ! parlé ou plutôt jasé des femmes, il s'éleva, se sublimifîa dans une sorte d'invocation cette fois presque tout à fait très chrétienne sans plus de magie que de droit pour un homme si infatué de cette véritable croyance sienne. Zilcken (j'ai dit qu'il m'avait accompagné) et moi nous descendons dans un local où Péladan, entouré et félicité, se délassait de la solennité de son discours de tout à l'heure en paradoxes amusants et le charmant causeur qu'il est se donnait pleine carrière. Je profitai d'une seconde de silence pour m'avancer vers lui. Il me reconnut sur-le-champ et nous serrâmes cordialement la main. Après quelques coupes de champagne vidées, chacun s'en fut chez soi, après s'être donné toutefois un rendez-vous pour le lendemain au Restaurant royal, où un déjeuner en l'honneur du Sâr devait être donné.

    Le lendemain, à l'heure ordinaire nous nous rendîmes Zilcken, sa femme et moi au Restaurant royal — où j'ai oublié de dire qu'on m'avait, précédemment offert un banquet qui fut très cordial et très joyeux. La compagnie était déjà nombreuse. On n'attendait plus que le Sâr. Il vint bientôt accompagné de deux autres convives. Un bonnet d'Astrakan, un pourpoint de soie, des bottes de chamois blanches, et un manteau composait son costume. Et vive lui ! de se moquer du qu'en dira-t-on et d'arborer les vêtements qui lui plaisent, tandis que la majorité même des artistes s'habille comme tout le monde et que le même faux-col étrangle le cou de l'aigle et celui de l'oie !

    Mais on se met à table ; Péladan et moi, entre deux dames. Vous dire les adorables méchancetés, parfois le latin qu'il m'envoyait plutôt pour gentiment taquiner ces dames, qu'à cause des énormités qu'il était censé contenir, les mots sans nombre, bref toute la joliesse de sa conversation, tâche au-dessus de moi, rêve !

    Après son départ pour une célèbre plage toute voisine, Scheveningen, dont je vais même vous parler maintenant que toutes mes “ aventures ” à La Haye et de par ailleurs sont épuisées, — ce ne fut qu'un concert de palinodie. On revenait sur lui, et il quitta, le lendemain, La Haye pour Paris, emportant avec de sérieuses promesses de la plupart des peintres de la ville et de la région pour son salon des Rose † Croix dont il est comme on sait le Grand Maître, l'estime, la sympathie, j'oserai ajouter, je souligne

 

j'oserai, — car c'est un homme si contredit ! — un commencement d'admiration pour l'immense talent et le génie (au fond) que je lui trouve.

Paul Verlaine, Quinze jours en Hollande, Lettres à un ami.   Johan Thorn Prikker  Brieven  Philippe Zilcken  Souvenirs la Revue Blanche 1896. Frans leren, Vivienne Stringa

    Quelques jours auparavant, j'avais reçu la visite de l'aimable éditeur Blok, mon présent collaborateur. Blok m'invite à déjeuner, m'emmène en tramway jusqu'à un restaurant encore inconnu de moi, mais magnifique et où la chère fut exquise. Après le café, il me proposa un tour à Scheveningen et j'acceptai.

PAUL VERLAINE. QUINZE JOURS EN HOLLANDE