Tekstbegrip Frans

Tekstbegrip Frans.
Luistervaardigheid. Kies de juiste zin in het Frans of Nederlands.
Franse citaten. Kies de juiste zin die erbij hoort.
Tijdsduur van de test: 20 minuten.
Niveau: 4-5-havo -Vwo, HBO, Universiteit, Volwassenen.
Frans leren à la française | © | Vivienne Stringa | Docent Frans.

 
 

Haarlem

À soi-même, Journal (1867-1915) Notes sur l'art la vie et les artistes

 


Haarlem, 20 Juillet. — Il me semble que je suis au bout du monde ; j'écris ici faiblement, dans la tristesse inévitable d'une arrivée. J'éprouve une crainte d'enfant dans ce pays morose, demi-obscur, plein de silences, où le ciel remuant donne le malaise. Et puis, j'ai la défiance instinctive qui naît en nous sur le sol étranger. Pourquoi me faut-il le dire ? C'est que depuis vingt-quatre heures que je l'ai quitté, j'ai déjà un désir dévorant d'entendre parler français.

Je serais revenu sur mes pas à moitié route, si le train ne m'eût emporté malgré moi à travers des marécages, des eaux, des mers, des bateaux et, surtout, des moulins qui se répercutaient jusqu'à l'horizon, bas et monotone. Le paysage qui se déroulait là sous mes yeux m'était bien connu ; on l'a vu bien des fois au Louvre dans la galerie des maîtres : au premier plan, sur une herbe grasse, épaisse et de couleur puissante, des bestiaux Tekstbegrip Frans. Haarlem, Odilon Redon À SOI-MÊME Journal Notes sur l'art la vie et les artistes, Frans leren, Vivienne Stringapaissent le sol humide ; au loin, quelques étangs, des arbres demi-submergés ; puis, le mât d'un navire qui excite un peu la surprise de le voir voyager ainsi sur la prairie, remorqué lentement ; puis, des moulins, toujours des moulins qui tournent à pleines ailes, tous invariablement et parallèlement orientés sous le vent toujours présent et rapide.

L'homme y paraît très peu ; il se perd dans cette atmosphère épaisse et troublée, sans plus grand rôle pittoresque que la maison, le chemin, l'animal ou le nuage, qui est toujours gros de pluie, mais fort beau. Tout est rompu, ondoyant, sans contours visibles. Le seul dessin de ce paysage est dans la rigidité de cette ligne unique et horizontale qui coupe le tableau en deux, et s'étend indéfiniment devant soi, autour de soi, avec une force qui ne manque pas de grandeur.

Cela est pauvre et triste, dénué de tout intérêt pour la vue ; aucun faste, rien du dehors ne provoque un étonnement marqué, fécond, durable, comme dans les contrées largement décoratives où des tableaux naissent à chaque pas, avec leurs cadres, leurs lignes et leurs plans. Ma plus grande surprise fut à Rotterdam, la ville la plus grandiosement pittoresque de ces infortunés parages ; mais encore sa beauté appartient-elle à cet ordre particulier des choses hors de l'ordinaire, où la nature s'impose à l'homme ou ne lui demande qu'un concours hors de sa condition.

Imaginez une ville flottante, le mot est vrai, une ville où l'on perd le sentiment du sol et de la sécurité. Je l'ai traversée dans le jour, mais son image m'est restée comme un rêve où se hérissaient des mâts de navires et de hauts moulins se livrant mutuellement de vives luttes. Leurs grandes ailes pointaient et tournaient dans le ciel, le long des rues ou des ponts tournant eux-mêmes sur des pivots invisibles ; oui, des ponts mouvants qui se rangeaient respectueusement devant le bateau qui, sur les promenades de cette ville, est un roi.

La voie ferrée la traverse, ou, plutôt, est spirituellement posée sur les toits ; si bien que du haut du train, on peut voir ce panorama si rare et si puissamment grotesque d'une ville moderne posée en pleine eau et supportant une voie de fer. Ce spectacle frappe l'esprit comme d'une aberration de la nature elle-même et prédispose à réfléchir sur la puissance de l'homme qui est ici. Tout en lui dénote une énergie extrême, surabondante. Les têtes que j'observe du fond de mon mutisme forcé, ont toutes un éclat vital inconnu en pays français ; on agit ici lentement, avec la volonté vive. Singulière race, puissante et bonhomme, grotesque même, que je comprends et n'aime point, mais je pressens la poésie de ces mœurs casanières et tout ce qui vit sous les fronts taciturnes de ses enfants.

21 Juillet. — Je cours en toute hâte à la peinture et je trouve la vie : en entrant dans cette salle de l'Académie de Harlem, où trois cents têtes vous regardent avec une ardeur si vive, j'ai cru me trouver au milieu d'une foule d'autrefois lorsque Frans Hals vivait lui-même. Ce peintre extraordinaire a là huit toiles qui le révèlent tout entier, depuis ses débuts jusqu'à sa fin surprenante. Sa maturité vint tard, vers quarante ans, au delà, peut-être, et les œuvres de sa vieillesse sont les surcroîts reçus d'une organisation inouïe qui, pour ainsi dire, ne veut point faiblir. Si jamais le génie prouve que la nature procède par exception pour le génie, c'est bien ici, en présence de ces œuvres suprêmes et dernières, faites avant de mourir et sans décroître sous la main d'un ouvrier de quatre-vingts ans. Il y a là comme la vision de la peinture qui devait naître deux cents ans après lui, par les yeux des réalistes français contemporains, du décadent si vous voulez, du nouveau sans nul doute. Cette excessive singularité de l'art extrême exhumé si loin de Paris, ce raffinement dans la vision trouvé deux siècles avant nous fait naître la surprise, comme si les lieux et le temps n'existaient pas pour le génie.

L'art est une fleur qui s'épanouit librement hors de toute règle ; il dérange singulièrement, ce me semble, l'analyse au microscope de savants esthéticiens qui l'expliquent. Les races peut-être, la délicate étude des tempéraments et de leur fusion dans un peuple pourra fournir une explication péremptoire, et sans appel, lorsque l'on parlera de Rembrandt, de Shakespeare ou de Michel-Ange, ces prophètes. Frans Hals, qui ne l'est pas, est pourtant l'homme le plus puissant qui ait traduit la vie animale au paroxysme.

 

 

Extrait de : À SOI-MÊME Journal (1867-1915) Notes sur l'art la vie et les artistes