Paul Verlaine, Quinze jours en Hollande. 17

 

En route M me Zilcken et moi remarquâmes — ça devait être un dimanche — qu'il y avait beaucoup de militaires, la plupart beaux garçons, mais si jeunes ! Les gaillards, dans leurs capotes bleues, leur descendant jusqu'aux talons, le bonnet de police tout droit sur la tête, à la belge, n'étaient pas seuls le long du canal où mourait avec le couchant la beauté des grands arbres, mais tenaient par la taille de gentilles et dodues compatriotes.

    Nous voici arrivés. On s'arrête au vestiaire. M me Zilcken, qui, la veille avait caché un œuf derrière un buste sur une armoire me délaie ça et j'avale la panacée.

    Même salle qu'hier. Moins de public, mais des figures connues et sympathiques, et cette fois supprimant le salut à la Hollande et les compliments aux ’s Gravenhageois, j'entre immédiatement dans mon sujet. Je parle, pour changer, du vers libre ou blanc auquel je ne puis, peut-être à tort, m'habituer. A mon sens le vrai vers libre c'est celui de la Fontaine. Quant au vers blanc les essais sont innombrables — et malheureux. Il n'est pas jusqu'à ce Louis Bonaparte qui fut un bon roi autant qu'il le pouvait sous l'incessante surveillance parfois tatillonne et toujours dure de son terrible frère, qui n'en ait pas fait un livre complet où j'ai cueilli cette fleur ... en papier. C'est une Léocadie quelconque qui dit au beau premier Lindor la pressant :

“ Votre amour

Illégal

Il me semble

Indiscret. ”

    Sans comparer cette perlection toute royale aux efforts plus ... judicieux et surtout, surtout plus compétents de quelques-uns de nos jeunes réformateurs n'y a-t-il pourtant pas là une pente des uns à l'autre peut-être plus proche et plus glissante qu'une première impression ne la pressent ?

 

— S'ensuivent quelques citations ... et une suspension. — Paul Verlaine, Quinze jours en Hollande, Lettres à un ami.   Johan Thorn Prikker  Brieven  Philippe Zilcken  Souvenirs la Revue Blanche 1896. Frans leren, Vivienne StringaUn bon grog me retape et je remonte en ... chaire puisqu'il est difficile, fut-ce — qui sait pourtant, dans des vers libres ? de dire — je monte en table. O pauvreté de la langue française. Il n'est que temps que les étrangers viennent à notre secours !

    Moi, timeo Danaos ! et vive le bon vieux français, même de ce temps-ci.

    La suite de ma conférence fut alors de longues citations de moi. Toujours Sagesse tint la tête. Après que j'eusse eu fini nous fûmes invités, Zilcken et moi, à une soirée chez les Haverman, le mari peintre de talent, la femme une javanaise très aimable mais qui m'embarrassa, dès entré dans son salon, d'une demande originale au possible.

    Réunion charmante. Un monsieur ouvrit la soirée nous jouant des morceaux de sa composition où il semble lutter inégalement avec les chants liturgiques de l'église catholique pour les services funèbres. Il donnait la note juste. Dans toute assemblée fonctionnant en vue d'un but de plaisir, la gaieté doit aller plutôt crescendo que forte tout de suite, et ce début d'un agréable symposium était dans toutes les règles. Il y a dans Th. Gautier des vers sur ce sujet.

“ Seulement pour pousser à boire

Au banquet de Trimalcion,

Une larve, joujou d'ivoire,

Faisant son apparition. ”

PAUL VERLAINE. QUINZE JOURS EN HOLLANDE