La sonate de M. Paul Dukas. Monsieur Croche, antidilettante. Debussy.

    — Dans la Chambre d'enfants, il y a la prière d'une petite fille avant qu'elle ne s'endorme, où sont notés les gestes, le trouble délicat d'une âme d'enfant, et même les manières délicieuses qu'ont les petites filles de poser à la grande personne, avec une sorte de vérité fiévreuse dans l'accent qui ne se trouve que là.

    — La Berceuse de la poupée semble avoir été devinée mot à mot, grâce à une assimilation prodigieuse, à cette faculté d'imaginer des paysages d'une féerie intime, spéciale aux cerveaux enfantins; la fin de cette berceuse est si doucement sommeillante que la petite raconteuse s'endort à ses propres histoires.

    — Il y a aussi le terrible petit garçon, à cheval sur un bâton, qui transforme la chambre en un champ de bataille : cassant un bras par-ci, une jambe par-là à de pauvres chaises sans défense ; ça ne va pas sans occasionner des blessures plus personnelles ! Alors, cris, pleurs, toute la joie s'envole ! ... Ça n'était pas sérieux ... deux secondes sur les genoux de sa maman, le baiser qui guérit et ... la bataille recommence, les chaises ne savent plus, encore une fois, où se fourrer. Tous ces petits drames sont notés, j'y insiste, avec une simplicité extrême ; il suffit à Moussorgski d'un accord qui semblerait pauvre à monsieur ... (j'ai oublié son nom!) ou d'une modulation tellement instinctive qu'elle paraîtrait inconnue à monsieur ... (c'est le même !). Nous aurons à reparler de Moussorgski ; il a des droits nombreux à notre dévotion.

V

LA SONATE DE M. PAUL DUKAS

 

    A notre époque, la musique tend de plus en plus à servir d'accompagnement Claude Debussy. Monsieur Croche, antidilettante, Frans leren, Vivienne  Stringa. Nijinsky dans L'Après-midi d'un faune, par Léon Bakstà des anecdotes sentimentales ou tragiques et assume le rôle un peu louche de faiseur de boniments à la porte d'une baraque où s'efforce le sinistre “ Rien du Tout ”.
Ceux qui aiment vraiment la musique vont rarement dans les baraques ; ils ont un simple piano et recommencent éperdument certaines pages ; cela grise aussi sûrement que le “ juste, puissant et subtil opium ” et c'est l'art d'évoquer les minutes heureuses le moins débilitant.
M. P. Dukas semble avoir pensé à ces “ derniers ” lorsqu'il écrivit sa sonate : la sorte d'émotion hermétique qui s'y traduit et ce lien rigoureux dans l'enchaînement des idées réclament impérieusement une intime et profonde communion avec l'œuvre (ce côté impérieux marque d'un cachet spécial presque tout l'art de M. P. Dukas, même quand il n'est qu'épisodique); elle est le résultat d'une ardente patience dans l'ajustement des pièces formant son armature et il est à craindre qu'on ne puisse aisément en suivre le jeu dans une exécution au concert ?

    Cela n'enlève rien à sa beauté ni à son rêve.
— Si le cerveau qui conçut cette sonate mêla à l'idée d'imagination l'idée de construction, il ne faudrait pas conclure à l'idée de complication, rien ne serait plus délibérément absurde.
M. P. Dukas sait ce que contient la musique ; elle n'est pas uniquement une chose brillante et sonore qui amuse l'oreille jusqu'à l'énervement : — compréhension facile où se rejoignent sans trop se heurter tant de musiques que l'on croit ... différentes.
— Elle est pour lui un trésor inépuisable de formes, de souvenirs possibles qui lui permettent d'assouplir ses idées à la mesure de son domaine imaginatif. Il est le maître de son émotion et sait lui éviter des clameurs inutiles ; il ne se permet jamais par conséquent de ces développements parasites qui déparent si souvent de très belles choses.
Qu'on regarde la troisième partie de cette sonate, on découvrira, sous son apparence toute pittoresque, une force qui en commande la fantaisie rythmique avec la silencieuse sûreté d'un mécanisme d'acier.

Monsieur Croche, antidilettante. Claude Debussy