Paul Verlaine, Quinze jours en Hollande. 40

 

          Extrait de : La Revue Blanche, Paris, 1896.

 

UN MANUSCRIT DE VERLAINE

 

En 1892, Verlaine était venu en hollande faire quelques conférences.¹ Un libraire de La haye, M.B., qui avait contribué à les organiser, lui demanda le récit de ses impressions de voyage. Et ce fut le livre : Quinze jours en Hollande.² Le prix convenu était de mille francs environ.

    Dès son retour en France, Verlaine se mit à l'oeuvre et envoya une vingtaine de pages, très illisiblement écrites. Comme le bouquin devait être imprimé en Hollande et qu'aucun de nos typographes n'aurait su déchiffrer cette écriture, j'offris à l'éditeur, qui eut la complaisance d'accepter, de copier le manuscrit à la condition de pouvoir le garder.

    Pendant des mois, il ne vint plus rien. Verlaine était empêché de travailler, “car je perds un peu la carte dans dans ces évènements où notre coeur se joue ”, m'écrivait-il alors.

    Et ce ne fut qu'au mois de juillet 1883, lorsque, alité à l'hôpital broussais, il eut trop de loisirs-forcés, que se suivent, sans longues intermitences, les feuillets. Naturellement, je les ai conservés tous. Verlaine recommença entièremnet son travail. Au début, il s'excuse de son écriture, au crayon, très indéchiffrable : “ Je suis très malade. ” ( c'était lors de la série de douze ou quinze grandes incisions à la jambe.) En grande partie, sa copie est écrite sur du papier de l'hopital, portant, au verso : Administration de l'Assistance publique — Nom de l'établissement ... — Service de M .... — Histoire de la maladie ...

¹ Pendant les dix jours qu'il passa à La Haye, j'eus l'inoubliable plaisir de l'avoir chez moi. Ai-je besoin de dire qu'il se montra gentleman accompli et fut, envers tout le monde, le plus charmant des hommes. — Un trait entre cent : Ma petite fille n'avait encore que deux ans ; d'emblée ils furent amis ; le grand bohême jouait avec elle pendant des heures, et, longtemps après, il ne l'oubliait jamais dans ses lettres, l'appelait “ ma filleule littéraire ”, et lui en voyait des baisers du “ mossieu ”.

² Dans Maxims of Art (New York, 1884, Brentano, ed.), M. Henri Pène du Bois a traduit environ un tiers de Quinze jours en Hollande.

 

    Mais l'intérêt de ce manuscrit consiste surtout en dessins nombreux, et en remarques pleines d'humour qu'il m'addressait presques chaque fois sur l'envers des feuillets. Je crois qu'il est connu généralement que Verlaine a donné, en Angleterre, des leçons de dessin.

    Un des premiers qu'il m'envoie le représente au lit. moi, il y a un mois, entouré de : 1. Le chef, une tête de Van Dyck. Vous vous rappelez au Louvre ce roi philippe ?? d'Espagne en feutre, avec des chiens. 2. L'interne, bon garçon, mais le bistouri mal caresseur. Le monstre m'a-t-il fait souffrir ! 3. Le stagiaire, qui s'écrie : Chouette d'opération ! tandis que le chef, tâtant le pouls, dit : Je le crois foutu, et l'interne : Ça y est !

    Un autre (il avait remarqué les allures – libres – des soldats en hollande) est une illustration, non sans caractère, des lignes : “ Les gaillards dans leurs capotes leur descendant jusqu'aux talons, le bonnet de police tout droit sur la tête, à la belge, n'étaient pas seuls le long du canal où mourait avec le couchant la beauté des grands arbres, mais tenaient par la taille de gentilles compatriotes. ”

    Dans un suivant, il se dessine assis derrière sa table de conférencier, disant : “ Que dis-tu, voyageur, des pays et des gares ? ” avec, auprès de la traditionnelle carafe : Ce n'est pas du rhum Saint-Jacques.

    Amusant, son portrait du bon roi Louis, accompagné de :

Louis du fond du dam

Faisait des vers blancs à son dam.

    Parmi les plus curieux est la série de ces dessins – symboliques ! – où il rit de ses opérations, si douloureuses, où il représente le public des journaux en tête de mort avec les cheveux et barbe, les injections sous-cutanées en amour au visage renfrogné, apportant la seringue qui va adoucir les douleurs  du bistouri, une tête de cauchemar, et lui-même, criant : Grâce !

    La dernière de cette suite le montre debout, la jambe encore bandée, en chemise et bonnet de nuit, criant au bistouri, aux lavages souscutanés et au reporter : A la porte, avec , au bas : Victoire.

PAUL VERLAINE. QUINZE JOURS EN HOLLANDE