Jean-Philippe Rameau. Monsieur Croche, antidilettante. Debussy.

XII

J. PH. RAMEAU

 

    M. CharlesClaude Debussy. Monsieur Croche, antidilettante, Frans leren, Vivienne  Stringa Bordes est presque universellement connu, cela pour les meilleures raisons du monde.
Il est d'abord un musicien accompli dans toute la force du terme ; puis il a l'âme de ces ardents missionnaires de jadis dont le courage s'augmentait avec les difficultés.
Assurément il est moins périlleux de catéchiser les foules au nom de Palestrina que les sauvages avec l'Evangile ; toutefois, on peut y rencontrer la même mauvaise volonté — le genre de supplice seul diffère, les uns ont le scalp, les autres le bâillement !
Charles Bordes, nommé maître de chapelle de Saint-Gervais de Paris, entreprit la série des “ Semaines saintes de Saint-Gervais ”, dont le succès fut tellement considérable que le haut clergé s'en émut, trouvant, bien à tort, qu'il dispersait l'attention des fidèles.
(Celui qui règne dans les deux n'a pourtant jamais manifesté qu'il en fût choqué.)
Ceci le décida à fonder l'Association des Chanteurs de Saint-Gervais, société de musique chorale ancienne.
De ce moment date son besoin incessant de propagande, car il n'y a pas de villes où cette société n'ait porté la bonne parole.
Soyez sûr que si quelque jour Bordes la conduisait dans Sirius ou Aldebaran, il ne faudrait pas s'en étonner autrement.

    Bordes fut aussi l'initiateur de cette “ Schola Cantorum ” fondée d'abord pour la restauration de la musique d'église, mais dont le programme s'est élargi depuis jusqu'à être devenue une École supérieure de musique. Et c'est là que nous venons d'entendre les deux premiers actes de Castor et Pollux. Pour beaucoup de personnes, Rameau est l'auteur du célèbre rigodon de Dardanus, et c'est tout ... C'est bien là un exemple de cette sentimentalité particulière au peuple français qui le pousse à adopter frénétiquement aussi bien des formules d'art que des formes de vêtements, qui n'ont rien à faire avec l'esprit du sol. On sait l'influence de Gluck sur la musique française, influence qui ne put se manifester que grâce à l'intervention de la Dauphine Marie-Antoinette (Autrichienne) — aventure assez semblable à celle de Wagner, qui dut la représentation du Tannhäuser à Paris à la puissance de Mme Metternich (Autrichienne). Pourtant, le génie de Gluck trouve dans l'œuvre de Rameau de profondes racines. Castor et Pollux contient en raccourci les esquisses premières que Gluck développera plus tard ; on peut faire de singuliers rapprochements, qui permettent d'affirmer que Gluck ne put prendre la place de Rameau sur la scène française qu'en s'assimilant et rendant siennes les belles créations de ce dernier. Au nom de quoi la tradition de Gluck est-elle encore vivante ? La façon pompeuse et fausse de traiter le récitatif en témoigne suffisamment, s'il n'y avait encore cette habitude d'interrompre impoliment l'action, ainsi que fait Orphée ayant perdu son Eurydice, par une romance qui n'indique pas précisément un si lamentable état d'âme ... Seulement, c'est Gluck !... et l'on s'incline. Pour Rameau, il n'avait qu'à se faire naturaliser ! C'est bien sa faute ! Nous avions pourtant une pure tradition française dans l'œuvre de Rameau, faite de tendresse délicate et charmante, d'accents justes, de déclamation rigoureuse dans le récit, sans cette affectation à la profondeur allemande, ni au besoin de souligner à coups de poing, d'expliquer à perdre haleine, qui semble dire : « Vous êtes une collection d'idiots particuliers, qui ne comprenez rien, si on ne vous force pas d'avance à prendre des « vessies pour des lanternes ».

Monsieur Croche, antidilettante. Claude Debussy