Paul Verlaine, Quinze jours en Hollande. 19

 

    Eh bien, bienveillante et ce fut ma récompense de la pensée ci-dessus relatée, j'eus, dans le courant de la soirée la Philippe Zilcken. Paul Verlaine, Quinze jours en Hollande, Lettres à un ami.   Johan Thorn Prikker  Brieven  Philippe Zilcken  Souvenirs la Revue Blanche 1896. Frans leren, Vivienne Stringasatisfaction de découvrir que le Monsieur ... larve d'ivoire, au fond était un rigoleur et même un rigolo plein de calembours, et bondé d'anecdotes au point, parlant d'ailleurs clairement le français, — mais c'est égal, sa musique était rudement ... apéritive !

    A ce moment de la réunion après encore quelques auditions moins austères, la maîtresse de la maison, très originale, me dit :

    — Ne pourriez-vous pas nous lire le Faune de Mallarmé bien posément, de façon à nous faire comprendre un peu mieux ce morceau ?

    — A votre service.

    Et l'on me mit aux mains la jolie plaquette que j'eusse préférée illustrée par Rops que par Manet.

    — Ces derniers mots expriment bien mon idée qui est que le Faune est une idylle chaude comme braise exprimée en des vers d'une science, d'un plein, d'un concis — et d'un joli ... troublants. Lire, même pour le très médiocre sinon tout à fait mauvais lecteur que je suis, lire ces quelques pages d'une infinie volupté, avec le ton complice et les coupes et les arrêts et les repos ... révélateurs, c'était tâche impossible.

C'eût fait scandale.

 

    Et je pris ma voix la plus “ blanche ” pour réciter psalmodier plutôt, à la manière de Mallarmé lui-même, l'admirable poème ... coquin ! Je crois avoir du moins bien dit ces vers impeccables qui savent tout énoncer et tout sous-entendre et cacher sous leurs ombres, — ici d'ailleurs bien transparentes et comme toutes pénétrées du ... blackguard soleil ambiant.

    Ma lecture eut quelque succès plutôt de politesse je le crois et je le dis sans mesquin regret, car je le conçois, des vers aussi faits et voulus ne peuvent qu'étonner quiconque n'est pas très initié, à plus forte raison un auditoire étranger quelque versé qu'il pût être dans notre langue. On se retira d'assez bonne heure et je n'en fus pas fâché. J'étais rendu de fatigue. Mon sommeil même s'en ressentit. Je rêvai d'un bon gros être hybride, moitié monsieur pianiste, moitié faune, un pied chaussé de vernis, l'autre, celui d'un bouc. Ce monstre qui était d'une bonne humeur tumultueuse se roulait et s'étendait sur l'herbe ... d'un tapis, il picorait des raisins en buvant du thé et fumait en même temps un énorme cigare. Pour comble ne voilà-t-il pas qu'il mange une énorme grappe dont il laisse les peaux et tout d'un coup,

“ Gonflant des souvenirs divers ”

se met à jouer quels airs lugubres !

    Je pleurais comme “ en rêve ” quand on frappa à ma porte. C'est Zilcken lui-même !

— Il est midi, êtes-vous malade ?

— Nenni. Entrez donc ...

    Il me dit que lui aussi venait de se lever et ces dames également. On ne prit donc pas le thé mais on s'attaqua sans plus tarder à un substantiel déjeuner à la fourchette. J'avais de délicieuses, de bonnes, de sororales pantoufles que je ne quitterais que le soir pour aller à Leyde ! O divine paresse, si rare à satisfaire, tu es sinon une vertu, du moins dans certains cas une fière qualité !

PAUL VERLAINE. QUINZE JOURS EN HOLLANDE