Claude Debussy. Monsieur Croche, antidilettante
Monsieur Croche, antidilettante
Claude Debussy
Claude Debussy ( né le 22 août 1862 à Saint-Germain-en-Laye et mort le 25 mars 1918 à Paris.)
Photographie : Paul Nadar en 1909
TABLE DES MATIÈRES
Monsieur Croche antidilettante
Entretien sur le prix de Rome et M. Saint-Saëns
La symphonie
Modeste Petrovitch Moussorgski
La sonate de M. Paul Dukas
Virtuoses
L'Opéra
Arthur Nikisch
Jules Massenet
Musique de plein air
Évocation
Jean-Philippe Rameau
Ludwig van Beethoven
Théâtre populaire
Richard Strauss
Richard Wagner
Siegfried Wagner
César Franck
L'Oubli
Edvard Grieg
Vincent d'Indy
Le Docteur Richter
Hector Berlioz
Charles Gounod
Lettre ouverte à Monsieur le chevalier W. Gluck
Monsieur Croche, antidilettante
La soirée était charmante et je m'étais décidé à ne rien faire... (pour être poli, mettons que je rêvais). En réalité, ce n'étaient pas de ces minutes admirables dont on parle plus tard avec attendrissement et avec la prétention qu'elles avaient préparé l'Avenir. Non . . . c'étaient des minutes vraiment sans prétention, elles étaient simplement de « bonne volonté ».
Je rêvais ... Se formuler ... ? Finir des œuvres ... ? Autant de points d'interrogation posés par une enfantine vanité, besoin de se débarrasser à tout prix d'une idée avec laquelle on a trop vécu ; tout cela cachant assez mal la sotte manie de se montrer supérieur aux autres. Être supérieur aux autres n'a jamais représenté un grand effort si l'on n'y joint pas le beau désir d'être supérieur à soi-même ... Seulement c'est une alchimie plus particulière et à laquelle il faut offrir sa chère petite personnalité en holocauste ... C'est dur à soutenir, et absolument improductif. Par ailleurs, solliciter l'assentiment unanime représente un temps considérable perdu en de constantes manifestations ou d'inlassables propagandes ; on peut y gagner le droit de faire partie d'un paquet de grands hommes dont on échange les noms pour ranimer de languissantes conversations d'art ... Je ne voudrais pas insister, afin de ne décourager personne. La soirée continuait à être charmante ; mais, on a pu s'en apercevoir, je ne m'aimais pas ... je me perdais de vue et me voyais dans les idées générales les plus fâcheuses.
C'est à ce moment précis que l'on sonna à ma porte et que je fis la connaissance de M. Croche. Son entrée chez moi se compose d'incidents naturels ou absurdes dont le détail alourdirait inutilement l'intérêt de ce récit. M. Croche avait une tête sèche et brève, des gestes visiblement entraînés à soutenir des discussions métaphysiques ; on peut situer sa physionomie en se rappelant les types du jockey Tom Lane et de M. Thiers. Il parlait très bas, ne riait jamais, parfois il soulignait sa conversation par un muet sourire qui commençait par le nez et ridait toute sa figure comme une eau calme dans laquelle on jette un caillou. C'était long et insupportable.
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